L'empreinte carbone de nos achats, simple détail ou sujet de taille ?

Article rédigé par Alexandre Torbay
March 16, 2023

Mesurer son empreinte carbone devrait devenir, à court ou moyen terme, une pratique courante pour les entreprises et les autres organisations (associations, collectivités territoriales) mais également pour les particuliers.

En réalisant son bilan carbone®, une société ou un individu peut identifier et quantifier les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par son activité, avant d’en déduire les actions à mettre en œuvre pour maîtriser voire réduire son impact carbone. Pour rappel, les engagements internationaux tels que l’Accord de Paris (COP 21 de 2015), visent à limiter l’ampleur du réchauffement climatique, dont les conséquences – vagues de chaleur plus fréquentes et plus intenses, hausse du niveau des mers et océans, etc. – menacent les conditions de vie des sociétés humaines et des autres êtres vivants sur Terre[1].

Si certaines activités émettrices de GES sont régulièrement citées dans les médias (consommation d’énergie, transports), penchons-nous sur un poste d’émissions moins évoqué : les achats, et notamment les achats de biens tangibles (les produits physiques), que nous distinguons des services (les prestations intangibles).

Empreinte carbone des achats, de quoi parle-t-on ?

Définition et périmètre

Pour commencer, définissons clairement le périmètre concerné par l’empreinte carbone des achats.

Au sens du « bilan carbone® », la méthode de référence développée au sein de l’ADEME au début des années 2000, calculer l’empreinte carbone des achats d’une organisation (entreprise, collectivité territoriale, association, etc.) consiste à mesurer les émissions GES générées par la phase de fabrication des produits (ou services) achetés qui seront consommés dans l’année. On peut citer, à titre d’exemple, les ramettes de papier pour les impressions au bureau ou le cuivre utilisé dans le processus de production d’un fabricant de tuyaux métalliques.

L’empreinte carbone des achats au sens de la méthode bilan carbone® se limite donc à :

  • L’empreinte carbone de la phase « amont », ou phase de fabrication - on exclut les autres phases du cycle de vie du produit (distribution, utilisation et de fin de vie),
  • L’empreinte carbone des objets qui seront consommés dans l’année - on exclut les immobilisations (les biens immobilisés apportent des bénéfices économiques de façon durable, au-delà d’un an, à l’entreprise).

Par ailleurs, on peut s’interroger sur l’empreinte carbone des déchets issus des biens achetés (exemple : que deviennent les chutes de tissu qui ne sont pas utilisées par un fabricant textile ?).

Les étapes de la phase de fabrication

En décomposant la phase de fabrication d’un bien tangible, la méthodologie règlementaire de calcul du bilan GES distingue les étapes suivantes[2] :

  • L’extraction des matières premières
  • La consommation d’énergie pour les étapes intermédiaires suivantes :
  • Transformation des matières / produits achetés
  • Assemblage
  • Pour les activités agricoles : le changement d’affectation des sols (exemples : conversion de forêts en terres cultivées ou en infrastructures construites – logements, industrie, transport, etc.)
  • Transport des produits entre toutes les étapes de transformation

La fabrication, une étape parmi d’autres du cycle de vie du produit

Au-delà de l’étape de fabrication détaillée précédemment, l’empreinte carbone totale d’un bien physique se mesure à l’aune de son cycle de vie, de l’extraction des matières premières jusqu’à la fin de vie.

On distingue généralement 5 grandes étapes du cycle de vie d’un produit : l’extraction des matières premières, la fabrication, la distribution (transport jusqu’au client / utilisateur), l’utilisation et la fin de vie.

L’analyse du cycle de vie consiste précisément à évaluer tous les différents impacts environnementaux d’un produit ou d’un service (impact sur le climat, impact sur les ressources naturelles, impact sur l’eau, etc.).

Les étapes du cycle de vie d’un produit

Voici un exemple de la répartition des émissions de gaz à effet de serre générées sur l’ensemble du cycle de vie d’un smartphone (iPhone 14 Pro), d’après les données communiquées par Apple. On constate que la production pèse pour 80% de l’empreinte carbone du produit, contre 15% pour la phase d’utilisation.

Source : données Apple

Quel est le poids des achats dans notre empreinte carbone ?

Les achats représentent une part significative des émissions de gaz à effet de serre des individus comme des entreprises.

Le poids des achats dans l’empreinte carbone des individus

En France, Carbone4, le cabinet de conseil de référence sur les enjeux énergie et climat, a décomposé l’empreinte carbone moyenne d’un Français et met en évidence la part liée aux achats : 1,6 tonne de CO2e sur une empreinte totale de 9,9 tonnes CO2e, soit 16% de l’empreinte qui provient des achats (articles pour la maison, électronique, vêtements, etc.). Ce chiffre (1,6 tonne CO2e) ne couvre pas les achats liés à l’alimentation ou encore aux dépenses liées aux services publics (administration, enseignement, culture, etc.).

Source : Carbone4

Le poids des achats dans l’empreinte carbone des entreprises

Concernant les entreprises, comme le montre une étude du Carbone Disclosure Project (CDP)[3], le scope 3 (qui comprend les émissions de GES de la chaîne amont / fournisseurs et aval / clients) peut représenter plus de 90% du bilan carbone des sociétés de certains secteurs d’activité (services financiers, construction, transport).

Au sein du scope 3, les émissions de gaz à effet de serre générées par les achats pèsent en moyenne 20% de l’empreinte carbone des entreprises, mais ce chiffre peut grimper beaucoup plus haut pour certaines activités (44% pour la chimie, 63% pour l’agriculture, 67% pour le secteur alimentation, boissons et tabac).

Exemple du secteur de la chimie (décomposition des émissions de GES du scope 3)

Source : CDP Technical Note: Relevance of Scope 3 Categories by Sector, 2022-2023

Comment maîtriser l’empreinte carbone des achats ?

Au-delà de la mesure de l’empreinte carbone de leurs achats, les entreprises disposent de différents leviers pour maîtriser voire réduire ces émissions de GES.

1) Limiter les achats
Éviter ou réduire ses achats, quand c’est possible

De toute évidence, la première façon de limiter l’empreinte carbone de ses achats est simplement de…réduire ses achats en évitant les commandes superflues. Si cette option peut sembler radicale à première vue, elle a néanmoins le mérite d’interroger les décisions d’achats et de s’assurer que ces derniers sont indispensables pour la bonne marche des opérations. Chaque organisation est ensuite libre de fixer le curseur au niveau qui lui convient pour différencier l’indispensable du superflu.

L’essentiel est d’être conscient que chaque achat est associé à une empreinte carbone.

Privilégier l’achat de produits moins carbonés

Une autre option consiste à orienter ses achats vers des biens dont la production a émis moins de gaz à effet de serre que d’autres produits similaires. Cependant, l’absence de données carbone pour certains produits entrave l’intégration de ce critère de décision dans le cahier des charges des acheteurs. La tendance générale devrait toutefois conduire à une mise en avant des produits les moins intensifs en carbone dans les années à venir.

Comme le montre le tableau ci-dessous détaillant l’empreinte carbone de plusieurs smartphones, on note par exemple que la capacité de stockage d’un iPhone influe significativement sur les émissions de gaz à effet de serre générées par sa fabrication (du simple au double entre 128 GB de stockage et 1TB).

Source : données Apple

Critères d’analyse des fournisseurs intégrant la dimension « empreinte carbone »

Miser sur le reconditionné

Une autre solution consiste à choisir des biens reconditionnés (« seconde main »).

La logique est la suivante : quand on observe l’empreinte carbone d’un objet sur toute sa durée de vie (cradle-to-grave, ou « du berceau à la tombe »), une part significative des émissions GES provient de la phase de fabrication (extraction des matières premières, transformation & assemblage). Ainsi, en retardant l’achat de produits neufs, on évite la fabrication de ces produits neufs et donc les émissions de gaz à effet de serre générées par cette phase de fabrication.

Minimiser l’impact du transport de vos achats

La phase de distribution du produit, entre le fournisseur et son client, est aussi un levier à étudier pour réduire l’empreinte carbone du produit mesurée sur l’ensemble de son cycle de vie.

Les options les plus évidentes sont :

  • la sélection d’un mode de transport moins carboné : pour une même distance parcourue, une livraison par la mer (bateau, souvent des porte-conteneurs) aura une empreinte carbone inférieure à celle d’une livraison par avion. Cette option est soumise aux contraintes du clients. En effet, si le fret maritime émet moins de GES que l’avion pour une même distance et un même poids transporté, le délai de livraison est généralement significativement plus long par la mer.
  • la sélection d’un fournisseur plus proche géographiquement afin de réduire la distance parcourue et donc les émissions de GES de la prestation de transport. Cette option est néanmoins soumise à la présence de fournisseurs répondant aux besoins du client dans sa région.

Allonger la durée de vie des biens achetés (réparer)

Au-delà d’une éventuelle – et parfois difficile – réduction des achats, on peut réduire son empreinte carbone en allongeant la durée de vie des objets utilisés, toujours dans l’idée de retarder l’achat de matériels neufs (même logique que pour l’achat de matériel reconditionné).

Si l’on garde l’exemple du smartphone, on constate qu’en allongeant de 2 ans la durée d’utilisation du terminal au lieu d’en acheter un neuf, on évite l’émissions de 16 kg CO2e (d’après une étude de l’ADEME[4]). Ce prolongement de la durée de vie est généralement possible grâce à la réparation ou au reconditionnement des objets existants.

Allongement de la durée d’usage des smartphones et impact climatique associé

Source : Modélisation et évaluation environnementale de produits de consommation et biens d'équipement, ADEME, 2020

Valoriser le produit en fin de vie

Quand un produit est hors d’usage, plusieurs options permettent également de limiter l’empreinte carbone de sa fin de vie, comme le recyclage, la réutilisation ou encore la valorisation énergétique[5].

  • Le recyclage désigne la réintroduction directe d’un déchet dans le cycle de production dont il est issu, en remplacement total ou partiel d’une matière première neuve (ex : une bouteille est fondue et utilisée pour refaire une bouteille neuve).
  • La réutilisation consiste à utiliser un déchet pour un usage différent de son premier emploi, ou à faire, à partir d'un déchet, un autre produit que celui qui lui a donné naissance (ex : des pneus de voitures usagés sont utilisés pour protéger la coque d’une barque)
  • La valorisation énergétique implique l’utilisation des calories contenues dans les déchets, en les brûlant et en récupérant l'énergie ainsi produite pour, par exemple, chauffer des immeubles ou produire de l'électricité.

Conclusion

Les achats de biens tangibles sont une source d’émissions de gaz à effet de serre non négligeable, notamment liées à l’étape de fabrication qui consomme matières premières et énergie pour transformer les matériaux et assembler les produits.

La prise en compte de cette empreinte carbone dans la stratégie et le reporting des entreprises se normalise progressivement et devient un enjeu de différenciation et de compétitivité, dans le cadre d’une règlementation qui favorise de plus en plus les produits bas carbone (obligations d’afficher un indice de réparabilité voire un score carbone sur les produits, etc.).

La comptabilité carbone gagne du terrain et ne peut plus être ignorée par les décideurs.

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Sources :

[1] https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WG1_SPM_French.pdf

[2] https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/methodo_BEGES_decli_07.pdf

[3] https://cdn.cdp.net/cdp-production/cms/guidance_docs/pdfs/000/003/504/original/CDP-technical-note-scope-3-relevance-by-sector.pdf?1649687608

[4] Modélisation et évaluation environnementale de produits de consommation et biens d'équipement, ADEME, 2020

[5] https://www.senat.fr/rap/o98-415/o98-4152.html#:~:text=La%20valorisation%20s'effectue%20par,en%20faire%20des%20bouteilles%20neuves.

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